À la suite du jugement rendu par l’honorable Monsieur le juge Bachand qui a accordé la permission d’appeler (Specter Aviation c. Laprade, 2021 QCCA 183), en décembre 2021, la Cour d’appel du Québec a rendu le jugement accueillant l’appel (Specter Aviation c. Laprade, 2021 QCCA 1811). Cette décision de la Cour d’appel nous enseigne que (1) l’article 3152 C.c.Q. vise à définir les limites de la compétence internationale des autorités judiciaires du Québec, mais n’entend pas exclure le processus d’arbitrage; (2) la reconnaissance de la compétence en matière de conflit de juridictions doit être faite de façon claire et évidente, et chaque cas sera un cas d’espèce.
Les faits pertinents
En avril 2012, M. Laprade, World Aircraft Leasing Inc. (ci-après « WAS ») et United Mining Supply (ci-après « UMS ») signent « l’Avenant au protocole d’accord USM Aviation établi en avril 2012 ». M. Laprade et World Aircraft Leasing Inc. (ci-après « WAL ») assoient leur droit de propriété dans l’avion de type Beechcraft Super King Air 300 (ci-après « l’Avion Beechcraft 300 »). L’Avenant contient la clause suivante :
« Article 5 : Toute contestation survenant à l’occasion du présent Avenant et de ses suites fera l’objet d’une procédure de médiation préalable conduite sous l’égide de PriceWaterhouseCoopers. En cas d’échec de la médiation, le différend sera résolu sous l’égide de la Chambre arbitrale internationale de Paris, conformément à son règlement que les parties déclarent connaître et accepter, sans toutefois identifier le médiateur. »
Le 29 avril 2012, M. Laprade et UMS signent un contrat du « Joint Venture » en vue de développer des services de transport aérien en Afrique qui trait du règlement de litiges :
« Article 7 : Loi applicable et règlement de litiges
Tout litige sera réglé à l’amiable. À défaut de règlement à l’amiable, le cabinet d’audit PWC sera désigné comme arbitre.
À défaut de résolution du litige par l’arbitre, le litige sera porté devant le tribunal arbitral de Paris. »
En avril 2018, M. Specter et TVPX Aircraft deviennent les propriétaires enregistrés de l’Avion Beechcraft 300.
En 2019, la coentreprise de M. Laprade et UMS est liquidée.
En avril 2019, M. Laprade et UMS signent un accord de liquidation qui prévoit notamment que l’Avion Beechcraft 300 doit être restitué à WAL. Effectivement, les pièces démontrent que c’est à la toute fin des négociations que l’aéronef BN2 (200 000 $ US) est remplacé par l’Avion Beechcraft 300 (1 250 000$ US). Il semble que UMS bonifie son offre à la dernière heure, de 1 250 000 $ US à l’aide de l’Avion Beechcraft 300. Or, M. Laprade ne demande pas formellement la délivrance de l’Avion Beechcraft 300.
Le 10 octobre 2019, M. Specter et TVPX Aircraft Solutions inc. (ci-après « TVPX ») introduisent une demande aux tribunaux québécois qui vise à faire reconnaître leur droit de propriété dans l’Avion Beechcraft 300. M. Specter et TVPX allèguent que la clause de l’accord de liquidation entre M. Laprade et UMS contient une erreur matérielle et que, en réalité, les parties ont convenu qu’un autre avion que le Beechcraft 300 serait restitué à WAL. Le 25 octobre 2019, l’honorable Madame la juge Judith Harvie rejette la demande d’annulation pour insuffisance de la saisie avant jugement de l’Avion Beechcraft 300.
Le 18 novembre 2019, UMS entreprend une action judiciaire contre M. Laprade concernant l’Avion Beechcraft Super King Air 300 en Guinée.
Le 27 décembre 2019, l’honorable Monsieur le juge Castonguay instruit sur la demande d’annulation pour motif de fausseté de la saisie avant jugement de l’Avion Beechcraft 300.
En mars 2020, M. Laprade demande le renvoi à l’arbitrage de l’action judiciaire guinéenne en invoquant les clauses d’arbitrage contenues dans le contrat de coentreprise et dans le contrat de liquidation.
Le 30 mars 2020, l’honorable Monsieur le juge Castonguay rejette la demande d’annulation de la saisie pour fausseté de la part de l’intervenante WAL et M. Laprade de même que la demande en vue de faire déclarer abusive la saisie avant jugement pratiqué en l’instance. Alors, M. Specter et TVPX obtiennent la saisie avant jugement de l’Avion Beechcraft 300.
Le 15 juin 2020, M. Laprade à titre de défendeur et WAL à titre d’intervenante déposent une défense, une demande reconventionnelle et un appel en garantie.
Le 7 juillet 2020, M. Specter et TVPX déposent une demande de rejet de la défense et demande reconventionnelle en vertu des articles 167 C.p.c. et 3137 C.c.Q. pour cause d’absence de compétence de la Cour supérieure du Québec. Subsidiairement, ils demandent la suspension du dossier pour cause de litispendance internationale car M. Laprade est dûment représenté dans le cadre des procédures en Guinée, lesquelles sont en voit d’être transférées à la chambre arbitrale internationale de Paris à la demande de Laprade.
Le 11 septembre 2020, les tribunaux guinéens se sont déclarés incompétents.
Le 5 octobre 2020, M. Specter et UMS déposent une demande d’arbitrage devant la Chambre arbitrale internationale de Paris (« CAIP »). Elles y demandent : que soit constaté que l’entente de liquidation n’avait opéré aucun transfert de la propriété du Beechcraft 300; que M. Specter soit remise en possession de l’avion; et que M. Laprade, WAL et une autre compagnie soient condamnés à leur payer 300 000 euros en dommages-intérêts.
En octobre 2020, M. Laprade et WAL saisissent aussi les tribunaux américains de l’État de l’Oklahoma d’une demande en justice visant également le droit de propriété dans l’Avion Beechcraft 300.
Le 17 décembre 2020, l’honorable Monsieur le juge Castonguay rejette la demande de M. Specter et TVPX Aircraft de rejet de la défense et demande reconventionnelle de Laprade et WAL pour cause d’absence de compétence et subsidiairement en suspension des procédures pour cause de litispendance.
Par contre, M. Specter et TVPX Aircraft soutiennent que le juge de première instance a commis plusieurs erreurs et portent ce jugement en appel.
Le 2 février 2021, l’honorable Monsieur le juge Bachand autorise la permission d’appeler et refuse d’ordonner la suspension des procédures arbitrales déposées devant la Chambre arbitrale internationale de Paris.
Depuis, la Chambre arbitrale internationale de Paris a rendu une sentence partielle par laquelle elle se reconnaît compétente pour connaître du litige entre les parties relatif à l’Avenant.
La question en litige
Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en rejetant la demande des appelantes (M. Specter et TVPX) en rejet de la défense et demande reconventionnelle des intimés pour cause de non-compétence de la Cour supérieure due à une clause compromissoire ?
L’analyse
Oui. Le juge de première instance auraît dû renvoyer l’affaire à l’arbitre.
Le juge de première instance refuse de renvoyer les parties à l’arbitrage puisqu’il conclut que les intimés lui ont démontré la présence des limites à l’autonomie de la volonté des parties en matière de conflits de juridiction reconnues par la Cour suprême dans l’arrêt GreCon Dimter inc. v. J. R. Normand inc., 2005 SCC 46. Par contre, les juges de la Cour d’appel ne sont pas convaincus par le raisonnement du juge de première instance.
1. L’article 3152 C.c.Q. vise à définir les limites de la compétence internationale des autorités judiciaires du Québec, mais n’entend pas exclure le processus d’arbitrage
La première limite sur laquelle le juge prend appui découlerait du fait qu’en raison de l’article 3152 C.c.Q. Les procureurs des intimés allèguent que même s’il existe une clause compromissoire entre les parties, vue que le bien en litige, soit l’Avion Beechcraft 300, se trouve au Québec, l’article 3152 C.c.Q. doit recevoir application quant à la détermination du véritable propriétaire. L’article 3152 C.c.Q. prévoit que les autorités québécoises sont compétentes pour connaître d’une action réelle si le bien en litige est situé au Québec.
Considérant le principe de l’arbitrabilité des litiges de droit privé et l’impact de la Convention de New York de 1958, la Cour d’appel souligne que l’article 3152 C.c.Q. n’entend pas exclure la procédure arbitrale. L’article 3152 C.c.Q. ne fait que préciser l’étendue de la compétence des autorités judiciaires québécoises. Comme souligné par Monsieur le juge Bachand au paragraphe 50 de la décision, « interpréter l’article 3152 C.c.Q. de manière à rendre inarbitrable tout litige international portant sur des droits réels relatifs à des biens situés au Québec aurait vraisemblablement pour effet de placer le Canada en violation de ses obligations internationales. » Dans l’arrêt GreCon, la Cour suprême nous enseigne que l’interprétation des dispositions du Code civil et la résolution du conflit qui les oppose doit nécessairement s’harmoniser avec les engagements internationaux du Canada et du Québec, y compris ceux découlant de la Convention de New York.
À la lumière de ces considérations, la Cour d’appel confirme que l’article 3152 C.c.Q. n’entend pas exclure le processus d’arbitrage.
2. La reconnaissance de la compétence en matière de conflit de juridictions doit être faite de façon claire et évidente.
Une autre limite mentionnée dans le raisonnement du juge de première instance est la suivante: par le comportement judiciaire des appelantes, les appelantes ont reconnu la compétence des autorités québécoises, renonçant du même coup à la compétence de l’arbitre. Les intimés soutiennent que les appelantes ont acquiescé à la juridiction des autorités québécoises en déposant leur demande auprès de la Cour supérieure, en faisant des interrogatoires préalables sur des déclarations sous serment, et aussi en ne lui présentant leur demande de renvoi dans le délai de 90 jours selon l’article 622 C.p.c.
(1) Bien que des déclarations sous serment soient produites et des interrogatoires sur telles déclarations soient tenus, il demeure que ces contestations ne relevaient pas du fond de l’affaire puisqu’instruites dans le cadre de la saisie avant jugement, mesure provisionnelle qui a pour but de mettre le bien sous la main de la justice pendant l’instance (Art. 516 C.p.c.). En fait, le 1er juin 2020, invitées par le juge de la Cour supérieure du Québec à mettre leur dossier en état, les appelantes y déposent un avis de gestion dont l’objet est de « déterminer le cadre de l’instance sur le fond du présent dossier » et dans lequel elles réitèrent leur position. Les appelantes précisent que « les seules questions demeurant à être tranchées au Québec portent sur le droit de saisie de l’Avion, le droit des Demanderesses de reprendre possession de l’Avion […] ».
(2) Le 15 juin 2020, les intimés déposent leur défense écrite et demande reconventionnelle dans laquelle ils allèguent, pour la première fois dans le cadre de la demande sur le fond, que par l’Avenant d’avril 2019, Specter leur aurait cédé la propriété de l’avion en litige. Le 7 juillet 2020, environ 22 jours plus tard, les appelantes déposent leur demande de rejet de la défense et demande reconventionnelle pour cause de non-compétence due à la clause compromissoire.
(3) Il importe de noter qu’en 2019, lorsque les appelantes saisissaient le tribunal guinéen pour le but de faire déclarer nul l’Avenant et de les déclarer seules propriétaires de l’Avion, les intimés avaient alors soulevé devant le tribunal guinéen son incompétence en s’appuyant sur la clause compromissoire contenue dans l’Avenant d’avril 2019.
Ainsi, la Cour d’appel conclut que vu la nature de la demande introductive de l’instance déposée par les appelantes et vu que la demande de renvoi a été présentée moins de 90 jours à compter du dépôt de la défense écrite et la demande reconventionnelle des intimés, le juge de première instance devait accueillir la demande en irrecevabilité des appelants.
Conclusion : que faut-il retenir?
1. Article 3152 C.c.Q. aims to define the limits of the international jurisdiction of the judicial authorities of Quebec. It does not intend to make the real actions nonarbitrable. It is worth to note that the interpretation of the legislations and the resolution of the conflict between the litigants, must necessarily be harmonized with the international commitments of Canada and Quebec and be confirmed with the development of international law. As Canada is a contracting state of the New York Convention 1958, the Canadian courts may only treat specific subjects as nonarbitrable on an exceptional basis when they consider that the arbitration procedures are incapable of safeguarding relevant legislative objectives.
2. The recognition of jurisdiction in private international law matters cannot be done implicitly unless it is done in a clear, obvious and unequivocal way.
(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)