Construction, COVID-19 et Force Majeure au Québec

Contexte

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé a officiellement déclaré que la COVID-19 était désormais une pandémie mondiale.

Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec a déclaré l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois. Jusqu’à ce jour, l’état d’urgence sanitaire a été renouvelé jusqu’au 17 juin 2020.

Le 15 mars 2020, la juge en chef du Québec et le ministère de la Justice du Québec ont arrêté/ordonné de concert que les délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile étaient suspendus jusqu’à l’expiration de la période de la déclaration d’état d’urgence sanitaire.

Le 24 mars 2020, le gouvernement du Québec a ordonné qu’à compter du 25 mars 2020, toute activité effectuée en milieu de travail devait être suspendue, sauf à l’égard des milieux de travail où sont offerts des services prioritaires prévus en annexe du décret numéro 223-2020.

Le 20 avril 2020, le gouvernement du Québec a autorisé les chantiers de construction domiciliaire à reprendre leurs activités, dans le cas où les unités résidentielles devaient être livrées au plus tard le 31 juillet 2020.

Le 28 avril 2020, le gouvernement du Québec a décidé de reprendre graduellement des activités dans le secteur de la construction entièrement. À compter du 11 mai, les chantiers de l’ensemble des secteurs de l’industrie de la construction pourront reprendre leurs activités. 

Sans doute, la pandémie de COVID-19 a entraîné et continuera d’entraîner des retards et des perturbations dans l’industrie de la construction. La COVID-19 affecte les propriétaires, les promoteurs, les entrepreneurs, les fournisseurs, les ouvriers et les autres intervenants qui participent directement ou indirectement à la construction au Québec.

Il est raisonnable dans les circonstances de se demander si la pandémie de COVID-19 constituera un cas de force majeure selon la loi québécoise. Pour répondre cette question, il est essentiel que les intervenants des secteurs de la construction comprennent la portée des clauses de force majeure contenues dans leurs ententes contractuelles ainsi que la doctrine de force majeure du droit civil envisagée par le Code civil du Québec. 

Les règles de droit applicables (une liste non-exhaustive)

Art. 1470 (2) C.c.Q. prévoit que la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. Notez que celui qui invoque la survenance d’une force majeure a le fardeau de le démontrer. 

Art. 1375 C.c.Q. et Art. 2100 (1) C.c.Q. prévoit que la bonne foi doit gouverner la conduite des parties tout au long de la relation contractuelle. Me Nancy Demers, dans son Précis de droit de la Construction, écrit que l’entrepreneur a l’obligation «d’agir au mieux des intérêts de leur client».

Art. 1470 C.c.Q.Art. 1693 C.c.Q., et Art. 1694 C.c.Q. prévoient qu’une partie contractante peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle lorsqu’une situation de force majeure se produit, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer. Notez que la force majeure ne constitue pas un motif d’exonération pour un débiteur lié par une obligation de garantie, c’est-à-dire qu’il s’est engagé à exécuter son obligation malgré la survenance d’une force majeure.

Art. 2100 (2) C.c.Q. indique que lorsque l’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus de résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure. (Voir Coutu Hivon c. Immeubles Tandem inc. (Construction Tandem), 2013 QCCQ 1536)

Art. 2125 C.c.Q. prévoit qu’un client peut en tout temps résilier le contrat de construction, même sans avoir à prouver un motif valable pour ce faire. Mais notez que ce droit de résiliation est sujet aux conditions énumérées à l’art. 2129 C.c.Q. 

Analyse

Au Québec, la force majeure est implicitement incluse dans les ententes grâce aux stipulations spécifiques au Code civile. Mais la force majeure peut être toujours prévue directement dans les contrats, ce qui permet de définir la notion plus largement que les dispositions prévues au Code civil. 

Premièrement, la plupart des contrats de construction au Québec contiendraient des clauses de force majeure. De nombreuses clauses de force majeure peuvent inclure une liste d’événements qui sont considérés comme un cas de force majeure. Des événements tels que «l’épidémie», «la pandémie», «la mise en quarantaine» ou «les ordonnances du gouvernement de suspendre les travaux» peuvent donc être trouvés dans ces clauses.

Ainsi, pour déterminer si la pandémie de COVID-19 constituera un cas de force majeure, il faudrait relire la clause de force majeure dans le contrat. La COVID-19 constituera probablement une situation de force majeure si l’épidémie ou les ordonnances du gouvernement de suspendre les travaux sont prévues spécifiquement dans le contrat comme situations de force majeure. Si la clause est claire et sans ambiguïté, le recours à l’article 1470 C.c.Q. n’est pas nécessaire, car le rôle du juge se limitera à appliquer la clause du contrat aux faits en cause (Voir pars. 27 et 28 Entreprises Rioux & Nadeau inc. c. Société de récupération, d’exploitation et de développement forestiers du Québec (Rexfor)2000 CanLII 30071 (QC CA)). En revanche, si le tribunal trouve qu’une ambiguïté ou un manque de clarté, le tribunal pourrait se référer à la notion de force majeure du Code civil. Par exemple, lorsqu’une clause de force majeure contient une liste non exhaustive d’événements de force majeure potentiels, le tribunal pourrait se référer à la jurisprudence en vertu de l’art. 1470 C.c.Q. pour déterminer si un événement non spécifiquement mentionné dans le contrat constituera un cas de force majeure (Voir pars. 35 à 42 Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier, section locale 3057 c Matériaux Blanchet inc. Division Amos2013 CanLII 41832 (QC SAT)). 

Deuxièmement, la plupart des contrats de construction au Québec comporteraient une obligation de résultat. Ainsi, les débiteurs, les entrepreneurs ou les contracteurs du secteur de la construction ne seront pas complètement libérés de leurs obligations même si la COVID-19 constitue un cas de force majeure : ils ont droit à un délai supplémentaire seulement pour exécuter la construction sans avoir à payer d’indemnité au client pour le retard (Olivier F. Kott et Claudine Roy, La construction au Québec, perspectives juridique, 1998, p. 557). Sauf disposition contraire du contrat, pour bénéficier le délai supplémentaire, ils doivent démontrer qu’ils se trouvent dans l’impossibilité absolue d’exécuter l’obligation.

Troisièmement, la plupart des clauses de force majeure pourraient être accompagnées de dispositions de préavis strictes. Les dispositions de préavis exigent généralement que la partie qui cherche à s’exonérer ses obligations envoie un préavis à l’autre partie dans le délai spécifié dans le contrat. Notez que la suspension des délais de prescription extinctive, de déchéance en matière civile et des délais de procédure civile au Québec n’entraîne pas la suspension des délais contractuels, y compris ceux exigeant la transmission du préavis en cas de force majeure.

Conclusion

La force majeure est implicitement incluse dans les ententes grâce aux stipulations spécifiques au Code civil du Québec. Mais normalement, les contrats de construction contiendraient des clauses de force majeure. Toutes les parties devraient examiner attentivement leurs contrats pour déterminer si la pandémie de COVID-19 constituera un cas de force majeure. En outre, dans le domaine de la construction, généralement, la force majeure ne pourrait être invoquée que pour obtenir un délai supplémentaire pour exécuter la construction à moins que le contrat d’en dispose autrement. La partie qui cherche à s’exonérer ses obligations devrait envoyer un préavis à l’autre partie dans le délai spécifié dans le contrat. En fin, il faudrait qu’on documente et enregistre les efforts pris pour atténuer les impacts de COVID-19 sur les projets de construction.

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention. ?)