La Cour se fonde sur la sentence arbitrale rendue après le procès pour déterminer la valeur en litige de la taxation d’un mémoire de frais – #34

Le jugement sur Langlois v. Langlois2020 QCCS 2959 nous enseigne que la « valeur en litige » au sens de l’ancien Tarif des honoraires judiciaires des avocats n’équivaut pas au « valeur du litige » . Il n’est pas nécessaire de trouver la valeur en litige dans les conclusions de la procédure. En effet, la greffière spéciale peut aller consulter « les procédures, les pièces, la sentence arbitrale après le procès etc. » pour déterminer cette valeur.

Les faits pertinents

Depuis 1987, trois générations de Langlois ont créé, établi, développé et investi dans l’entreprise familiale de transformation et de vente de crevettes, Crustacés des Monts inc. (ci-après « CDM »).

Depuis le début de l’année 2011, un conflit éclate entre les membres de la famille Langlois. Les demandeurs, Michel et Yvon, actionnaires minoritaires et administrateurs de CDM sont exclus et écartés de l’administration et de la gestion de CDM. Après avoir offert leurs actions à leurs coactionnaires pour un prix équivalent à leur juste valeur marchande, mais en vain, ils s’adressent à la Cour supérieure en vertu des articles 450 et suivants de la Loi sur les sociétés par actions (ci-après « LSA »), pour obtenir le rachat de leurs actions à leur valeur marchande. Les défendeurs demandent le rejet de toutes les conclusions recherchées dans la demande introductive d’instance.

Toutes les parties au litige sont impliquées dans CDM, que ce soit comme actionnaire, administrateur ou, dans le cas de la défenderesse Mélanie, employée.

En septembre 2015, la Cour supérieure du Québec fait droit à la demande (Langlois c. Langlois2015 QCCS 4203). La Cour condamne les défendeurs au paiement de diverses sommes d’argent totalisant la somme de 495 965,80 $. De plus, la Cour ordonne le rachat des actions des demandeurs à un prix correspondant à une valeur à être déterminée par arbitrage suivant la convention entre actionnaires de 1991 (ci-après la « Convention »). La convention comporte la disposition suivante:

« 7° […] Si aucune réévaluation n’a été effectuée dans les 12 mois précédant l’achat ou le rachat des actions soumises à la présente convention, la valeur marchande de la totalité des actions détenues par chacun des actionnaires sera établi par arbitrage, suivant la procédure déterminée ci-après dans la convention […] »

« 8° Dans tous les cas où la procédure d’arbitrage devra être utilisée, il est

entendu entre les actionnaires que le nombre nécessaire d’arbitres à être nommés est fixé à trois (3). […] La décision desdits arbitres, prise à la majorité quant à la valeur des actions de la compagnie, une fois transmise aux personnes concernées sera définitive et sans appel et liera irrévocablement toutes les parties concernées ; [sic] ce dont conviennent les actionnaires aux présentes. »

Aux fins de l’établissement de la valeur des actions, la Cour ordonne que l’arbitrage soit présidé par un arbitre seul ; la Cour déclare que les parties doivent nommer un arbitre dans un délai de 45 jours à compter du jugement ; la Cour déclare que le choix de l’arbitre, ou le consentement au choix de tout arbitre pourra être exprimé par les autres actionnaires codéfendeurs à la majorité des voix ; la Cour ordonne que les honoraires et frais de l’arbitre soient à la charge de CDM ; la Cour ordonne aux défendeurs de collaborer avec l’arbitre pour qu’il puisse avoir accès à toute information dont il a besoin pour établir la valeur des actions.

Lors de l’arbitrage, les demandeurs plaident que leurs actions valent 3 923 815,40 $. Les défendeurs avancent que leur valeur est plutôt de 3 883 756,80 $. L’écart est de 40 058,60 $. Le 5 novembre 2018, l’arbitre donne raison aux demandeurs.

Le 6 mai 2019, les avocats des demandeurs produisent leur mémoire de frais pour taxation pour réclamer les honoraires prévus à l’art. 42 de l’ancien Tarif des honoraires judiciaires des avocats (l’« ancien Tarif »). Dans le calcul de la valeur en litige, les demandeurs tiennent compte de la valeur attribuée par l’arbitre aux actions, soit 3 923 815,40 $ et de la somme de 495 965,80 $ selon le jugement en septembre 2015 (Langlois c. Langlois2015 QCCS 4203). Les défendeurs contestent ce mémoire de frais. Mais la greffière spéciale taxe les honoraires et déboursés judiciaires des avocats des demandeurs à la somme réclamée, soit 46 192, 31 $.

Le 22 septembre 2020, la Cour considère que la greffière spéciale a eu raison d’inclure dans son calcul de la valeur en litige la somme de 3 923 815,40 $. La demande en révision de la taxation du mémoire de frais est rejetée (Langlois c. Langlois2020 QCCS 2959). 

Les principales règles de droit applicables

Art. 439 et suivants de la LSA permettent au Tribunal, à la demande d’un actionnaire ou d’un administrateur d’intervenir afin de redresser une situation lorsque la société ou ses administrateurs agissent abusivement à leur égard ou qu’ils se montrent injustes en leur causant préjudice.

Art. 451 de la LSA prévoit que le tribunal a le pouvoir discrétionnaire et non limitatif afin de rendre toute ordonnance de redressement jugée appropriée en cas d’abus ou d’iniquité.

Art. 622 C.p.c. prévoit que les questions au sujet desquelles les parties ont conclu une convention d’arbitrage ne peuvent être portées devant un tribunal de l’ordre judiciaire. En principe, le tribunal saisi d’un litige portant sur une telle question est tenu, à la demande de l’une des parties, de les renvoyer à l’arbitrage.

Art. 42 de l’ancien Tarifprévoit qu’un honoraire additionnel de 1% sur l’excédent de 100 000 $ est taxable dans le cas d’une demande dont la somme ou la valeur en litige est supérieure à 100 000 $.

La question en litige

La greffière spéciale a-t-elle eu raison d’inclure dans le calcul de la valeur en litige la somme de 3 923 815,40 $ qui a été déterminée postérieurement au jugement par un arbitre?

L’analyse

Premièrement, comme les dépens ont été adjugés avant l’abolition de l’ancien Tarif, les parties sont toutes d’accord que l’ancien Tarif s’applique dans le présent cas.

Deuxièmement, que veut dire « valeur en litige »? La Cour d’appel dans Commission Hydro-électrique du Québec c. Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd. (paragrs. 34 à 35 de 1991 CanLII 3251 (QC CA)) nous enseigne que la « valeur en litige » n’équivaut pas au « valeur du litige » ; et que pour déterminer la « valeur en litige », le tribunal doit considérer l’intérêt économique du litige pour les demandeurs qui a été affecté d’une manière ou d’une autre par le jugement sur lequel portent les dépens. Dans l’affaire Kruger inc. c. Kruco Inc. ([1988] R.D.J. 2015 (C.A.).), la Cour d’appel a rendu, à la suite d’un jugement en oppression, que la valeur d’un dividende à être versé devait être considérée dans la détermination de la valeur en litige (Voir aussi paragrs 53 à 55 de Fils spécialisés Cavalier inc. c. Richter & Associés inc.2005 CanLII 36373 (C.S.).).

Troisièmement, le but de l’article 42 de l’ancien Tarif est de rétribuer l’avocat victorieux en fonction de l’enjeu pécuniaire du dossier qu’on lui a confié. En l’espèce, pour ce qui est de la demande de rachat forcé, cet enjeu était de 3 923 815,40 $ puisque les défendeurs du présent cas s’y opposaient totalement. Le fait que cette valeur ait été déterminée postérieurement au jugement par un arbitre n’y change rien.

Pour ces motifs, le Tribunal rejette la demande des défendeurs en révision de la taxation du mémoire de frais.

Reflection

In Langlois c. Langlois2015 QCCS 4203, we can find that the court would address some modalities to the arbitration in its judgement, such as the composition of arbitral tribunal, the nomination process of the arbitrator and the cost of arbitration, in order to ensure that the arbitration proceeds properly and smoothly despite the fact that there already exists an arbitration agreement between the parties.

(Attention! Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un(e) avocat(e) sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)