Au Québec, le voisin peut avoir l’accès au votre terrain pour effectuer une construction sur son propre terrain lorsque les travaux ne peuvent pas être réalisés sans passer par votre terrain (Art. 987 C.c.Q.). Vous ne pouvez pas refuser l’accès à moins que vous ne puissiez démontrer que l’accès à votre terrain n’est pas nécessaire ou qu’il y a d’autres moyens d’effectuer les travaux (paragr. 23, Murphy c. Caldareri, 2008 QCCS 6721; page 395, LAFOND, Pierre-Claude, Précis de droit des biens, 2e édition). En outre, si l’accès au votre terrain vous cause des inconvénients anormaux, le voisin devient responsable de plein droit, sans qu’il y ait faute (Art. 976 C.c.Q.).
Il convient de rappeler que l’application de l’art. 976 C.c.Q. n’écarte pas l’application des articles 7 et 1457 C.c.Q. et l’application de la théorie de l’abus de droit (Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64). Cet article vise à analyser les faits de l’affaire Grand-Maison en se fondant sur les décisions plus récentes.
Les faits pertinents de l’affaire Grand-Maison (Grand-Maison c. Klimowicz, 2013 QCCQ 2806)
Depuis 2006, M. Grand-Maison est locataire du rez-de-chaussée d’un duplex qui comprend notamment l’arrière-cour et un stationnement.
En mai 2010, M. Klimowicz acquiert l’immeuble contigu et procède à d’importants travaux de réparation du mur en brique mitoyen et de la fondation qui la supporte. Pour effectuer ces travaux, M. Klimowicz n’a d’autre choix que de passer par l’arrière-cour de M. Grand-Maison.
Avant de réaliser ces travaux, M. Klimowicz envoie au propriétaire de l’arrière-cour un avis l’informant des travaux à effectuer et de la nécessité de passer sur son terrain.
En août 2010, M. Klimowicz et M. Grand-Maison rencontrent sur les lieux pour convenir d’un échéancier pour qu’il puisse diminuer les inconvénients subis par M. Grand-Maison. Ils conviennent que les travaux de M. Klimowicz se terminent le 21 septembre 2010.
En fait, M. Klimowicz termine les travaux à la suite de la mise en demeure de l’avocat de M. Grand-Maison la mi-octobre 2010.
Ensuite, M. Grand-Maison réclame 6 243,94 $ à M. Klimowicz en raison des inconvénients anormaux du voisinage en conséquence des travaux et les dommages causés à ses biens devant la Division des petites créances, Cour du Québec.
Les principales règles de droit applicables
L’art. 976 C.c.Q. prévoit que le voisin doit accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excède pas les limites de la tolérance selon les circonstances. Pour les inconvénients anormaux, l’art. 976 crée un régime de responsabilité sans faute.
L’art. 988 C.c.Q. prévoit que le propriétaire qui permet l’accès à son fonds a droit à la réparation du préjudice qu’il subit et à la remise de son fonds en l’état.
L’art. 992 (1) C.c.Q. prévoit que dans la mesure où le voisin est de bonne foi et que l’empiètement n’est pas considérable, le propriétaire du terrain peut demander au voisin à acquérir cette parcelle en lui en payant la valeur, ou à lui verser une indemnité pour la perte temporaire de l’usage du terrain.
L’art. 6 de la Charte des droits et libertés de la personne « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. »
L’art. 7 C.c.Q. prévoit qu’aucun droit ne peut être exercé d’une manière excessive et déraisonnable.
Questions en litige de l’affaire Grand-Maison
1. M. Grand-Maison est-il victime des inconvénients anormaux découlant des travaux de réparation effectués par M. Klimowicz ?
2. M. Klimowicz s’engage-t-il envers M. Grand-Maison à l’indemniser en conséquence des dommages occasionnés à ses biens ?
L’analyse
1. Le Tribunal conclut que l’exécution des travaux par M. Klimowicz n’engendre pas des inconvénients anormaux qui excèdent les limites de la tolérance que les voisins se doivent. Malheureusement, le jugement ne fournit pas les détails des travaux ni les inconvénients.
Selon la jurisprudence récente, il convient de rappeler que l’évaluation du caractère anormal est une question de fait qui relève de la discrétion du juge de première instance (paragr. 22, Coulombe c. Ferme Érital, 2015 QCCA 6). Le tribunal va évaluer la récurrence et la gravité de l’inconvénient. Tout d’abord, le tribunal va déterminer si le trouble en question possède un caractère continu ou répétitif, et s’il s’étale sur une période suffisamment longue en adoptant le point de vue d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la victime. Si le critère de récurrence est retenu, l’examen de la gravité peut être entrepris. La gravité renvoie à l’idée « d’un préjudice réel et sérieux au regard de la nature et de la situation du fonds, des usages locaux, du moment des inconvénients, etc. » (paragr. 81, Plantons A et P inc. c. Delage, 2015 QCCA 7).
Si le tribunal considère que le trouble en question est à la fois récurrent et grave, on peut conclure qu’il dépasse le seuil de normalité que se doivent les voisins selon l’art. 976 C.c.Q.
2. Le Tribunal tient responsable M. Klimowicz du non-respect de ses représentants envers M. Grand-Maison pour le remplacement de son boyau d’arrosage et de son barbecue, le remboursement d’une contravention, la perte de jouissance découlant du dépassement du délai de la fin des travaux, ainsi que le manquement de la réinstallation de la corde à linge et l’enlèvement de certains débris selon l’art. 988 C.c.Q. et l’art. 1619 C.c.Q.
Le Tribunal ne tient pas responsable M. Klimowicz des dommages subis par M. Grand-Maison en raison des troubles de voisinage en conséquence de la réalisation des travaux. Il s’agit d’inconvénients normaux de voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance que les voisins se doivent (Art. 987 C.c.Q.).
Réflexion
Dans la situation où le voisin a bâti au-delà des limites de son fonds sur une parcelle de votre terrain, vous pouvez lui exiger de vous verser une somme d’argent pour la perte temporaire de votre usage ou d’acquérir votre partie de terrain. Par contre, si l’empiètement est considérable et qu’il vous cause des dommages sérieux, vous pouvez contraindre le voisin à acquérir votre immeuble ou à enlever les constructions et à remettre les lieux en l’état (Art. 992 C.c.Q.).
En outre, il convient de rappeler que la suspension des délais en matière civile est levée dès le 1er septembre 2020. Une prolongation automatique de 45 jours pour certains délais en matière civile est mise en place pour le but de faciliter la reprise des activités judiciaires (Voir Arrêté numéro 2020-4303 de la juge en chef du Québec et du ministre de la Justice en date du 31 août 2020)
(Attention! Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)