L’affaire Groupe TMD : Les motifs d’objection soulevés au stade de l’interrogatoire préalable dans le cadre d’un dossier complexe lié aux appels d’offres pour les services de déneigement – # 79 

Cet article vise à résumer le jugement porte sur une demande pour trancher 93 objections soulevées lors des interrogatoires prenables: 9150-2732 Québec inc. (Groupe TMD) c. Ville de Montréal, 2025 QCCS 849. Ce jugement nous rappelle les enseignements de la Cour d’appel (Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Sopropharm, 2023 QCCA 1598) et de la Cour suprême (Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66) suivants : 1) la divulgation la plus complète et hâtive possible est encouragée dans un esprit de coopération et d’équilibre et elle vise à faciliter la recherche de la vérité sur la situation vécue par les parties; 2) les parties doivent respecter le principe de la proportionnalité, veiller à limiter leurs demandes à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige, et agir selon les exigences de la bonne foi procédurale; 3) le juge de première instance dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour trancher des objections. 

Contexte du litige

La société Groupe TMD poursuit la Ville de Montréal, des employés municipaux, ainsi que le Bureau de l’inspecteur général (BIG), en réclamation de plus de 8,8 millions $, dont 7,4 millions $ en dommages punitifs. Les allégations comprennent :

a. Des fautes contractuelles liées au nouveau système de mesurage de la neige (2018 à 2021);

b.Des fautes contractuelles en lien avec ses instructions quant à l’exécution des opérations de déglaçage (2018–2019) ;

c.Des fautes contractuelles concernant le défaut d’information dans les appels d’offres pour l’octroi de contrats de transport de neige.

Lors d’une audience de trois jours, le Tribunal est saisi par le Groupe TMD d’une demande visant à trancher des objections soulevées. Alors que la demande initiale comptait 161 objections, les discussions entre avocats ont permis de réduire ce nombre à 93, soit 40 objections impliquant la Ville (concernant des questions ou des engagements) et 53 objections formulées par le BIG concernant des pré-engagements, des engagements ou des questions. Les deux parties ont soumis des tableaux d’objections accompagnés des motifs invoqués, afin de faciliter l’analyse du Tribunal lors de l’audience.

    Raisonnement de la Cour

    À l’étape de l’interrogatoire préalable, une partie recherche de l’information pour soutenir les faits de sa demande ou préparer ses moyens de défense. Le Code de procédure civile prévoit aux articles 221 à 230 les modalités et limites de l’interrogatoire préalable qui doit porter sur les faits pertinents se rapportant au litige et aux éléments de preuve qui les soutiennent, ce qui s’apprécie à partir des allégations de la demande en justice ainsi que des actes de procédure incluant la défense. Le concept de pertinence s’apprécie généralement de manière large au cours de la phase exploratoire de l’instance au regard de l’ensemble des allégations se trouvant dans les procédures au dossier. Ainsi, le Tribunal tranche les objections en prenant en considération les actes de procédure et les pièces au dossier pour les motifs suivants.

    (A) Privilège relatif au litige 

    La Cour suprême dans l’affaire Lizotte (2016 CSC 52) et l’affaire Blank (2006 CSC 39) nous enseigne que le privilège relatif au litige protège les communications qu’un avocat ou une partie non représentée reçoit d’un tiers dans le but exclusif ou principal de préparer un litige anticipé ou existant; et qu’il revient à la partie qui l’invoque de démontrer que l’information concerne l’objet principal du litige anticipé ou existant et sa préparation. Une fois établi, la partie qui souhaite l’écarter doit démontrer l’existence d’une exception reconnue telle que la sécurité publique, l’innocence d’un accusé, les communications de nature criminelle, ou la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui revendique le privilège relatif au litige.

      (B) Secret professionnel 

      Le secret professionnel concerne les membres des ordres professionnels, et il protège de manière permanente la relation entre le professionnel et son client. L’affaire Kalogerakis (2017QCCA1253) nous enseigne que l’analyse de ce qui est confidentiel et sujet au secret professionnel est contextuelle, et elle comporte deux étapes. Dans un premier temps, le Tribunal évalue la portée du secret. Si tel est le cas, le Tribunal vérifie dans un deuxième temps si l’un des rares cas d’exception au secret s’applique ou si la partie a renoncé au secret professionnel. Il convient de rappeler que le secret professionnel des non-juristes est interprété plus restrictivement que pour les avocats et les notaires, et c’est pourquoi l’intérêt de la justice à la découverte de la vérité peut parfois justifier la levée du secret professionnel des non-juristes (Voir l’affaire Ricotta International 2024QCCA99).

        Ainsi, certaines objections sont maintenues car les documents en cause (rapports, avis juridiques, échanges internes) relèvent de ces privilèges.

        C) Intérêt légitime important et confidentialité

        L’intérêt légitime important est nommé à l’article 12 C.p.c., et il s’agit d’un motif d’objection prévu à l’article 228 (2) C.p.c. à l’occasion d’un interrogatoire préalable. Il est reconnu par la jurisprudence que certains documents peuvent représenter un intérêt légitime important tels que des secrets commerciaux et industriels ou des donnés financières confidentielles qui peuvent parfois impliquer des tiers, ou bien encore des méthodes d’enquête utilisées pour la répression de crimes ou de fraudes adminsitratives (Voir l’affaire Sierra Club 2002CSC41 et l’affaire Gesca 2009 QCCA1534).

        Ainsi, certains documents ont été protégés pour éviter de compromettre des méthodes d’enquête ou des secrets commerciaux. Par exemple, Groupe TMD demande d’avoir accès à tout document qui encadre le travail des enquêteurs du BIG. Le Tribunal note que bien que l’information demandée puisse être pertinente à première vue pour identifier si une faute a été commise,  la divulgation pourrait porter atteinte à l’intérêt public, car les méthodes d’enquête pourraient être contournées ou déjouées et l’objectif d’empêcher la occupation dans les contrats publics serait mis en péril. 

        D) Pertinence et recherche à l’aveuglette

        Bien que l’article 228 (3) C.p.c. prévoit que le principe de pertinence n’est pas un motif d’objection lors d’un interrogatoire préalable, la Cour a établi des paramètres pour éviter que les parties s’engagent dans une recherche d’information tous azimuts et disproportionnée qui peut être considérée comme abusive et peut justifier une objection légitime et l’intervention du Tribunal selon l’article 230 C.p.c. (Voir l’affaire Signature on the Saint-Laurent Group 2024QCCA538).

        Ainsi, la Cour rejette plusieurs demandes qualifiées de « expéditions de pêche ». Elle maintient les objections lorsque les demandes sont trop vastes, imprécises ou disproportionnées. Le Tribunal constate que plusieurs d’entre elles ne visent pas la recherche d’une information précise, pertinente et déterminable à partir de faits de rattachement, mais s’apparentent plutôt à une recherche à l’aveuglette portant sur les échanges internes liés aux travaux de modification des documents contractuels sur une période de plus de sept ans.

        Reflection 

        1. Les motifs d’objection soulevés le plus souvent au stade de l’interrogatoire préalable sont les suivants : Privilège relatif au litige, Secret professionnel, Privilège relatif au règlement, Intérêt légitime important et confidentialité, renseignements personnels concernant des tiers, et recherche à l’aveuglette. 
        2. Une partie peut soulever et argumenter séance tenante à l’audience un motif d’objection différent de celui invoqué lors de l’interrogatoire préalable (Voir l’affaire Choko 2021QCCS2741)

        (Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)