Le 16 juillet 2020, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement (Hengyun International Investment Commerce Inc. v. 9368 — 7614 Québec inc., 2020 QCCS 2251) donnant, entre autres, son analyse complète sur la disponibilité du COVID-19 pandémie comme défense de force majeure en matière de louage commercial. La Cour supérieure du Québec a affirmé que la fermeture obligatoire des commerces en raison de la pandémie de COVID-19 constitue un cas de force majeure en ce cas et que le locataire n’a pas à payer les loyers dus pendant la période de fermeture obligatoire. Cette décision peut avoir un impact important sur les litiges entre les locataires et les propriétaires résultant de la fermeture forcée des commerces à venir.
Les faits pertinents
À la fin de l’année 2017, Hengyun International Investment Commerce Inc. (« Hengyun ») loue ses locaux à 9368-7614 Québec inc. (« Québec inc. ») afin d’y opérer un gymnase. Le bail est conclu pour une période de 5 ans.
Le bail commercial contient la clause de force majeure suivante :
« 13.03 Unavoidable delay
Notwithstanding anything in this Lease to the contrary, if the Landlord or the Tenant is delayed or hindered in or prevented from the performance of any term, obligation or act required hereunder by reason of superior force, strikes, lockouts, labour troubles, riots, accidents, inability to procure materials, restrictive governmental rules, regulations or orders, bankruptcy of contractors, or any other event whether of the foregoing nature or not which is beyond the reasonable control of the Landlord or the Tenant, as the case may be, then the performance of such term or obligation or act is excused for the period of the delay, and the party so delayed shall be entitled to perform such term, obligation or act within the appropriate time period after the expiration of such delay, without being liable in damages to the other.
However, the provisions of this Section 13.03 shall not operate to excuse the Tenant from the prompt payment of the Base Rent or Additional Rent or any other payments required by this Lease. » (soulignement par l’auteure)
La clause 1.11 du bail commercial prévoit que les locaux doivent être utilisés uniquement comme gymnase.
Depuis janvier 2018, Henyun et Québec inc. ont été en conflit constant sur plusieurs problèmes du louage, notamment l’incapacité à fournir une climatisation et un chauffage au gymnase.
En mars 2020, Québec inc. est contraint par décret gouvernemental de fermer le gymnase à compter du 24 mars 2020 en raison de la pandémie COVID-19, car le gymnase n’est pas dans la liste des services prioritaires maintenus.
En audience, Hengyun demande l’expulsion de Québec inc. ainsi que l’indemnisation de sa perte de revenus incluant les loyers pour les mois de mars à juin 2020. Québec inc. prétend qu’il a le droit d’occuper les locaux comme locataire. Québec inc. réclame des dommages-intérêts et une réduction du loyer pour un certain nombre de problèmes. Surtout, Québec inc. prétend qu’il n’a aucun loyer à payer pour les mois de mars à juin 2020 en raison de la fermeture obligatoire du gymnase en vertu des décrets sanitaires du Québec.
Les règles de droit applicables (une liste non exhaustive)
Art. 1470 (2) C.c.Q. prévoit que la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
Art. 1854 C.c.Q. prévoit que le locateur a l’obligation de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail. La Cour d’appel du Québec a confirmé que cette obligation s’agit d’une obligation de résultat (Les Immeubles Gabriel Azzouz inc. c. Salon d’optique Fernand Ghobril inc., 2008 QCCA 135, par. 5)
Art. 1863 C.c.Q. prévoit que le locataire peut réclamer une réduction de loyer lorsque le locateur n’effectue pas l’obligation de fournir une jouissance paisible des lieux loués.
Art. 1694 C.c.Q. prévoit que le débiteur dans l’impossibilité d’exécuter son obligation ne peut exiger l’exécution de l’obligation corrélative du créancier.
La question en litige
Est-ce que Québec inc. doit payer les loyers pour les mois de mars à juin 2020 ?
L’analyse
NON. La Cour conclut que le locataire n’a pas à payer les loyers dus pendant la période de fermeture obligatoire du gymnase. La cour déduit 26 950,65 $ CAD de la réclamation du locateur (paragr. 108 de l’arrêt Hengyun, 2020 QCCS 2251)
Premièrement, l’obligation de fournir la jouissance paisible ne peut être levée qu’en cas de force majeure ou de faute d’une personne indépendante de sa volonté, car elle s’agite d’une obligation de résultat (paragr. 20, 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc., 2016 QCCA 538). Il est noté que les dispositions de la jouissance paisible ne sont pas d’ordre public en matière de louage commercial (paragr. 25, Société de gestion Complan (1980) inc. c. Bell Distribution inc., 2011 QCCA 320). Il est aussi noté que le locateur et le locataire peuvent convenir de restreindre l’impact de l’incapacité du locateur à fournir la jouissance paisible au locataire. Il convient de rappeler que la Cour d’appel a confirmé que le locateur ne peut pas exonérer son obligation de la jouissance paisible intégralement (paragr. 60, CNH Canada Ltd. c. Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d’assurances générales, 2015 QCCA 204).
Deuxièmement, la Cour affirme que la fermeture forcée des commerces en raison de la pandémie de COVID-19 est un cas de force majeure dans le cas présent parce que (a) la fermeture obligatoire des locaux loués était imprévisible pour les parties lorsqu’elles ont signé le bail; (b) le locateur est dans l’impossibilité de procurer la jouissance paisible des lieux à son locataire; (c) le locateur ne peut pas résister à l’impact de la pandémie.
Troisièmement, la Cour confirme que le locateur ne peut pas exiger le paiement du loyer pour la période de fermeture forcée même si la clause 13.03 du bail commercial permet à une partie d’être excusée de son défaut s’il résulte de l’exécution tardive de l’obligation à cause d’un cas de force majeure. La Cour considère que l’obligation de locateur de procurer la jouissance paisible, dans le cas présent, n’a pas été retardée par la pandémie, elle n’a simplement jamais été exécutée. Donc, la clause 13.03 du bail commercial ne s’applique pas.
Réflexion : que faut-il retenir ?
L’appréciation d’une situation de force majeure et de l’impact de la pandémie sur l’exécution du bail commercial est une question de fait laissée à l’appréciation du juge d’instance (paragr. 22, Deux-Montagnes (Ville de) c. St-Joseph-du-Lac (Municipalité de), 2015 QCCA 749). Les parties devraient examiner attentivement le libellé précis d’une clause de force majeure stipulée dans le bail commercial afin de vérifier le protée de son obligation.
Le propriétaire pourrait recourir à l’Aide d’urgence du gouvernement fédéral (AUCLC) mis à sa disposition. Si le locateur refuse ou néglige de se prévaloir de l’aide d’urgence offerte par le gouvernement fédéral, la Cour pourrait empêcher la résiliation du bail pour le défaut du locataire de payer son loyer découlant essentiellement de l’impact de la COVID-19 (Tubes et Jujubes Centre d’amusement familial inc. c. 8937974 Canada inc., 2020 QCCS 1934).
(Remarque : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention. ?)