L’affaire Promutuel : L’exclusion de couverture dans la police d’assurance n’empêche pas la Cour d’ordonner à l’assureur de défendre son assuré pour l’ensemble du litige – #77 

Cet article vise à résumer le jugement rendu par la Cour d’appel du Québec concernant l’obligation de défendre de l’assureur prévue à l’article 2503 du Code civil du Québec (Promutuel Vallée du St-Laurent, société mutuelle d’assurance générale c. Noyrigat-Gleye, 2024 QCCA 447). Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Cour supérieure du Québec ayant accueilli une demande de type Wellington. La demande de type Wellington est une requête en jugement déclaratoire visant à contraindre l’assureur à prendre fait et cause pour son assuré. 

Les faits pertinents 

M. Bélanger poursuit ses voisins au motif que ceux-ci auraient coupé des arbres, modifié le dénivèlement du terrain et construit un mur de soutènement sur sa propriété. M. Bélanger réclame des dommages-intérêts compensatoires et punitifs aux termes de la Loi sur la protection des arbres, ainsi que deux injonctions permanentes visant le démantèlement du mur de soutènement et le rétablissement du dénivelé de l’immeuble.  

Les voisins ont souscrit une assurance responsabilité civile auprès de l’assureur. Celle-ci accepte de prendre en charge leur défense pour les dommages compensatoires, mais pas pour les demandes en injonction et en dommages punitifs. Les voisins/les assurés présentent donc une demande de type Wellington visant à contraindre son assureur à assumer leur défense pour l’ensemble du litige.  

Le juge en première instance, Monsieur le juge Pierre Nollet, J.C.S. a accueilli la demande de type Wellington des voisins/assurés. Monsieur le juge Pierre Nollet, J.C.S. distingue la question de l’injonction de celle des dommages punitifs. Quant à la première, le juge conclut que l’injonction n’est qu’une façon de mettre les dommages reliés à l’érection de ce mur à la charge des voisins ; et le fait que M. Bélanger procède par demande injonctive ne change pas la véritable nature de la demande. Quant aux dommages punitifs, Monsieur le juge Pierre Nollet, J.C.S. conclut qu’il serait déraisonnable et contraire à la règle de la proportionnalité et au principe d’unicité de représentation d’exiger que les voisins soient tenus de s’adjoindre un autre avocat pour une portion de la réclamation. Cependant, le juge convient que les dommages punitifs ne sont pas couverts par le contrat d’assurance. Ainsi, le juge mentionne que l’appelante pourra éventuellement réclamer aux intimés les frais encourus spécifiquement pour les réclamations non couvertes.  

La question en litige en appel  

L’exclusion de couverture dans la police d’assurance, empêche-t-il le juge d’ordonner à l’assureur, notamment sur le fondement du principe de la proportionnalité et de celui de l’unicité de la représentation, de défendre les assurés pour l’ensemble du litige ?  

L’analyse 

La Cour d’appel du Québec nous rappelle qu’en vertu des articles 2414 et 2503 C.c.Q., l’obligation de défendre l’assuré est d’ordre public, se distingue de l’obligation d’indemniser. Il est possible qu’un assureur doive prendre la défense de son assuré, mais qu’au terme du litige il ne soit pas tenu de l’indemniser. La jurisprudence établit que l’obligation de défendre s’enclenche dès lors que, sur la base de la nature véritable de la demande au terme d’une interprétation raisonnable des allégations, il existe une possibilité que l’assureur soit tenu d’indemniser l’assuré (Voir paragr. 79 Non-Marine Underwriters, Lloyd’s of London c. Scalera, 2000 CSC 24).  

La nature véritable de l’action ne depend uniquement du mode procédural d’exécution. En l’espèce, l’injonction vise l’exécution d’une obligation de compenser un préjudice passé qui porte sur les mêmes faits constitutifs que la réclamation en dommages compensatoires et ne demandera pas de défense spécifique. Le fait que M. Bélanger procède par une injonction ne modifie donc pas la nature réelle du litige qui est la compensation d’un préjudice matériel qu’aurait causé l’assuré.  

La Cour d’appel rappelle que le test de la « simple possibilité de la couverture selon la nature véritable de la demande » vise à éviter que le domaine de l’obligation de défendre dépende indûment du vocabulaire ou de la stratégie adoptée par le tiers demandeur.  

En l’absence d’une preuve claire et non équivoque que la réclamation visée par la demande injonctive en l’espèce n’est pas couverte, le juge en première instance n’a pas commis d’erreur et le premier moyen doit donc être rejeté.  

Concernant la question des dommages punitifs, il est clair que la police d’assurance ne couvre pas les dommages punitifs :  

« NOUS NE COUVRONS PAS :  […] 

e) Les sommes qui ne sont pas de nature purement compensatoire, telles que les amendes, les pénalités et les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.» 

L’assureur plaide que la décision d’assumer ou non la défense des voisins pour les dommages punitifs lui revenait donc de manière exclusive et purement discrétionnaire et son refus, en l’espèce, constitue un obstacle dirimant à la demande de type Wellington (Voir l’arrêt Géodex inc. c. Zurich, compagnie d’assurances, 2006 QCCA 558).  

La Cour d’appel confirme que le principe établi dans l’arrêt Géodex a eu pour effet de consacrer l’obligation de défendre de l’assureur comme une exception possible à la règle de l’unicité de la représentation (Voir aussi Fermont (Ville) c. Pelletier, 1998 CanLII 13277 (QC CA) et Gagnon c. Sinotte, 2009 QCCA 1553). Cependant, la Cour d’appel nous rappel que l’exception au principe de l’unicité de représentation est justifiée par la complexité des questions en litige et des intérêts exclusifs des parties dans l’affaire Géodex.  

Alors, en l’espèce, le juge pouvait-il donc conclure qu’en raison de la règle de la proportionnalité et du caractère négligeable de la partie concernant les dommages punitifs, la règle de l’unicité de la représentation devait prévaloir, malgré le refus de l’assureur de défendre l’assuré pour le tout ?  

Après avoir révisé de nombreuses doctrines, la Cour d’appel confirme que le juge de première instance a la discrétion de conclure que la règle de l’unicité de la représentation doit prévaloir. La Cour d’appel nous enseigne que dans les circonstances du présent dossier, le juge devra considérer nombreux éléments en fonction des principes directeurs du droit processuel, notamment, l’unicité ou non des faits générateurs, l’importance, la connexité et la complexité de l’enjeu non couvert, la nécessité ou non d’une preuve spécifique à celui-ci, la proportion du litige qui portera sur l’enjeu non couvert ou, encore, le risque d’un conflit d’intérêts. La Cour d’appel constate que le juge en première instance a eu raison, compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, d’appliquer le principe de proportionnalité et celui de l’unicité de la représentation et d’ordonner que l’avocat mandaté par l’assureur prenne en charge la défense pour l’ensemble du litige, y compris la réclamation des dommages punitifs, étant entendu qu’il pourra, au terme du dossier, y avoir un partage des coûts.  

Reflection  

  1. The insurer’s obligation to defend is far broader than its obligation to indemnify; the first resting on simple allegations while the latter rests on proven facts.  
  1. The insurer’s obligation to defend, which is of public order, is triggered as soon as the Court considers that there is a possibility that the insurer will be required to indemnify the insured. When the Court hears the Willington motion, the Court would read the insurance policy, the insurance contract and analyze the true nature of the application to determine the possibility to invoke the insurer’s duty to indemnify.  
  1. In insurance liability matters, a party may be represented by two different counsels when some damages sought by the opposing party are not covered by the insurance policy. However, the judge has discretion to order that the lawyer mandated by the insurer be responsible for defending some claims that are not covered by the insurance policy. In this respect, the judge must consider several factors, including whether there is a single set of underlying facts, the importance, relationship, and complexity of the issue not covered, the need for that issue to have its own evidence, the proportion of the dispute that will bear on the issue not covered, or the risk of a conflict of interest, the whole based on the guiding principles of procedural law.  

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)