Le dossier est renvoyé à l’arbitrage malgré que certaines parties au litige ne soient pas signataires de la Convention – #61

Cet article vise à résumer un jugement récent rendu par l’honorable Madame la Juge Johanne Mainville concernant une demande en exception déclinatoire visant à renvoyer le litige à l’arbitrage en vertu de l’art. 622 C.p.c. Dans l’arrêt Césario c. Régnoux, 2021 QCCS 3009, Madame la juge Mainville note qu’il n’y a pas assez de preuve documentaire pour conclure la compétence de la Cour supérieure sur le litige ou pour déroger au principe général.

Les faits pertinents

Le 9 août 2019, 9226-0454 Québec Inc. (« 9226 ») et la Compagnie Gala Média inc. (« Gala Média ») concluent une Convention entre actionnaires (« Convention ») aux fins d’établir un cadre contractuel gouvernant leurs relations visant à promouvoir les intérêts des opérations de création, de conceptualisation et de développement de concepts audiovisuels et numériques du Projet 2Dads.

La Convention contient une clause compromissoire parfaite d’arbitrage, qui prévoit ce qui suit :

« ARBITRAGE

24. Comité aviseur pour aider à la décision

Les actionnaires s’engagent à ce que le sort de tout désaccord ou différend pouvant les diviser et notamment en ce qui a trait à l’interprétation ou l’application de la présente convention soit réglé exclusivement par arbitrage, conformément aux dispositions applicables du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01).

Les parties, aux fins de minimiser les frais afférents à l’arbitrage, peuvent aux termes d’un écrit signé par chacune d’elles, convenir de la nomination d’un seul arbitre.

À défaut, les parties conviennent que le comité aviseur aura pour rôle de trancher les litiges et conflits d’interprétation. »

Au fil du temps, les relations entre les parties se détériorent.

Le 2 décembre 2020, Emmanuel Césario (« Césario »), l’unique actionnaire et administrateur de 9226 et 9226 (« les demandeurs »), par l’entremise de leur procureur, transmettent une mise en demeure à Philippe Régnoux (« Régnoux »), l’unique actionnaire et administrateur de Gala Média, Gala Média et Gala Productions (« les défendeurs ») leur reprochant de bloquer les fonds appartenant au Projet 2Dads et de refuser d’honorer les ententes intervenues entre les parties.

Le 2 mars 2021, Gala Média, par l’entremise de son procureur, signifie une mise en demeure aux demandeurs les avisant que leurs agissements sont sujets à l’application des dispositions entourant l’offre automatique irrévocable des actions détenues par 9226 dans 2Dads en vertu des articles 7 et 10 de la Convention.

Le 12 mars 2021, les demandeurs transmettent, par l’entremise de leur procureur, une lettre au procureur de Gala Média dans laquelle ils contestent, d’une part, les éléments soulevés par celle-ci et, d’autre part, l’avisent qu’advenant tout transfert et/ou transaction d’actions par elle, les demandeurs prendront « les procédures nécessaires pour préserver [leurs] droits et ceux de la Société ».

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Le 7 mars 2021, les demandeurs instituent une demande introductive d’instance en injonction permanente et en dommages et intérêts.

Le 7 avril 2021, les demandeurs signifient aux défendeurs la Demande, laquelle contient 119 paragraphes plus les conclusions.

Les défendeurs font une demande en exception déclinatoire visant à renvoyer le litige à l’arbitrage en vertu de l’art. 622 C.p.c.

Les demandeurs rétorquent que la Cour supérieure a compétence pour entendre le litige et invoquent quatre motifs au soutien de leurs arguments, notamment: Césario, Régnoux et Gala Productions ne sont pas signataires de la Convention ­­et par conséquent, celle-ci ne s’applique pas à eux; les projets CSience et TiDoc ne sont pas visés par la Convention etc. (paragr.31 de la Decision)

La question en litige

Est-ce que la Cour doit renvoyer le dossier en arbitrage ?

L’analyse

1. L’art. 622 C.p.c. prévoit que le tribunal saisi d’un litige portant sur les questions au sujet desquelles les parties ont conclu une convention d’arbitrage est tenu, à la demande de l’une des parties, de les renvoyer à l’arbitrage, à moins qu’il ne constate la nullité de la convention.

Dans la présente instance, la question de la nullité de la convention d’arbitrage n’est pas en jeu.

2. Dans Desputeux c. Editions Chouette, [2003] 1 R.C.S. 178, la Cour suprême nous enseigne qu’il « ne faut pas interpréter le mandat de l’arbitre de façon restrictive en le limitant à ce qui est expressément énoncé à la convention d’arbitrage. Le mandat s’étend aussi à tout ce qui entretient des rapports étroits avec cette dernière, ou, en d’autres mots, aux questions qui entretiennent un lien de connexité de la question tranchée par les arbitres avec le litige qui leur est soumise ».

Dans Ferreira c. Tavares, 2015 QCCA 844, la Cour d’appel réitère les principes applicables à une demande en exception déclinatoire en regard d’une convention d’arbitrage qui sont élaborés dans l’arrêt Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801 ainsi:

« la Cour énonce le principe général voulant qu’en présence d’une clause d’arbitrage, le tribunal doit renvoyer à l’arbitre toute contestation portant sur sa compétence au terme d’une telle clause, afin qu’il décide lui-même de cette question. »

Par contre, la Cour peut, dans les cas suivants, déroger à cette règle: i. lorsque la contestation porte exclusivement sur une question de droit, ou ; ii. lorsque la contestation porte sur des questions mixtes de droit et de fait qui n’impliquent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier.

Dans la présente instance, il y a lieu d’appliquer le principe général selon laquelle toute contestation de la compétence de l’arbitre doit être tranchée par ce dernier parce que:

a. La clause de la Convention est rédigée dans des termes très larges, généreux et libéraux. Par exemple, l’emploi des mots « pouvant les diviser » et « notamment » confirme que les actionnaires ont convenu que la compétence de l’arbitre irait bien au-delà de l’interprétation ou l’application de la Convention et inclurait tout ce qui peut les diviser.

b. Vu les rapports entre les parties, leurs agissements entre 2017 et août 2019, le lien étroit qui existe entre les individus et les compagnies signataires de la Convention, un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier ne permet pas au Tribunal de se prononcer à ce stade-ci sur la compétence ou non de la Cour supérieure. Par exemple, dans sa mise en demeure du 2 décembre 2020, le procureur des demandeurs ne fait pas de distinction entre Césario personnellement et Césario actionnaire de 9226 ni non plus en regard de Régnoux et ses compagnies Gala Média et Gala Productions à qui la mise en demeure est adressée. Par ailleurs, même s’il est approprié de dire que Césario et Régnoux ne sont pas personellement des signataires de la Convention, ces deux individus sont ultimement les actionnaires et administrateurs des principales personnes morales.

3. Dans GreconCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401, la Cour suprême nous enseigne que’en cas de doute, il y a lieu de privilégier le renvoi à l’arbitrage.

Dans la présente instance, au paragraphe 52 de la Decision, l’honorable Mainville, J.C.S. note qu’il se pourrait que la réclamation de Césario en regard des honoraires réclamés en vertu des ententes alléguées qui auraient été conclues verbalement avant la Convention ne soit pas visée par celle-ci. « Cependant, rien n’empêche l’arbitre par souci d’efficacité du processus de donner force à ces ententes ou si les parties y consentent. À tous égards, le Tribunal estime que cette partie de réclamation n’est pas suffisante en soi pour conclure à ce stade des procédures à la compétence de la Cour supérieure et vider de son sens la Convention d’arbitrage. »

En conclusion, la Cour favorise le renvoi du dossier à l’arbitrage.

Que faut-il retenir?

As mentioned in Arbitration Matters, when we apply for declinatory exception and referral to arbitration, we should provide clear and sufficient information to the Court to allow the Court to rule on this issue through superficial consideration of the evidence in the record. It is worth to note that a superficial consideration of the evidence is limited to drawing conclusions from facts that are either evident on the face of the record or undisputed by the parties. As noted in Arbitration Matters, “the Court’s conclusion might have differed if it had been provided with more exhibits to review, even if only superficially, for instance with respect to the ‘close business relationship’ between all parties or as to which parties held the intellectual property and related fund at the time”.

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention. )